Larzac

La fin des années 70...Une fin d'adolescence qui se traîne... Une éducation catho plutôt ouverte, des années de scoutisme qui m'ont rendu démerdard et donné le goût de l'autre. Merci Papa, merci Maman, il y a eu vraiment pire comme éducation, même si les fritages ont été nombreux, et le fossé générationnel profond.

Grégorien, gauloises sans filtre et Pataugas

Des copains scouts m'avaient donné l'info: dès que j'ai quelques jours, je pars avec mon copain d'enfance François à l'abbaye de Tamié, en Savoie. Ils ont une fonction 'hôtellerie' -pas seulement gîte et couvert, mais aide à la vie aussi!-. De rencontre en rencontre, Francesca m'emmène à la Borie Noble, chez Lanza Del Vasto, où je découvre la vie en Communauté (avec un grand 'C'), et, très logiquement, j'arrive à Taizé, à pâques 74, pour l'ouverture du Concile des jeunes. Des dizaines de milliers de jeunes du monde entier. Anne, déjà. Vertige. Le décor est planté. Mon avenir sera collectif, solidaire, non violent, militant et plaisant. Surtout plaisant!

Toute cette période, probablement à cause (grâce?) de son importance dans ce qui a suivi de ma vie reste étonnamment précise dans ma mémoire. Des brouillards au petit matin à Taizé, la sensation de plénitude unique qui t'envahit lorsqu'au (très) petit matin une dizaine de moines dont tu distingues les silhouettes en contre jour dans le choeur de l'abbaye de Tamié, entonnent le Salve Regina, les nuits dans le train pour aller passer quelques heures avec Anne (mon père était cheminot, alors je ne payais pas le train.)

Ils ont nom Jacky Grünenwald et Alain Mangiavacca de Meaux, Frère Roger de Taizé, Frère Aelread de Tamié, Jean Maurice de La Vergne, Anne de Caen, témoin et créatrice de mes premiers émois, Lanza del Vasto, de l'Arche. Tous des nobles. Manque que Riton de la Courneuve.

[Petite digression: à l'heure où le gouvernement (démocratiquement élu, hélas) souhaite foutre dehors tous les étrangers qui n'ont pas tiré le bon numéro à la grande loterie de la distribution des Papiers, mon ADN ne dira jamais ma filiation à tous ces gens, et pourtant, leur empathie m'a permis d'exister. Fermons cette digression du XXIème siècle...]

Tout ça, je sens bien que c'est une aube. J'accumule les sensations, sans bien les analyser, mais sans en perdre une miette.

De Taizé à Saint Martin du Larzac

Ras le bol des années Giscard, 68 pas loin. On est volontiers baba cool, on écoute Deep Purple, Ange, Imago, François Béranger, Senthaclos et évidemment Neil Young.

L'engagement politique? Je passe par les Mao de la Gauche Ouvrière Prolétarienne, mais, même doué pour la controverse, je ne suis ni ouvrier ni prolétaire.

Quelqu'un (Mauriac?) a dit 'nous méritons toutes nos rencontres; elles sont accordées à notre destin; elles ont une signification qu'il nous appartient de déchiffrer'. Je rencontre Jean Barbe (je sais plus comment... on devait naviguer dans les mêmes bistrots à Meaux); il est déjà très engagé dans la non-violence. Je squatte chez lui, et on passe des nuits entières à ronéoter des tracts "Gardarem lo Larzac", "Non à l'extension du camp militaire", "des moutons pas des canons" (qui va se transformer fort opportunément en "des canons dès 8 heures, soutien aux viticulteurs", en référence aux grandes manifestations de viticulteurs de l'Aude). 

Le présent est militant, écolo et rural. Tope là, ça me branche. La non-violence politique est la seule alternative possible et raisonnable, et la seule manière de faire notre petit 68 à nous!.

On milite au Comité Larzac de Paris, (dont les locaux sont à l'époque rue de Nanteuil, avec les Amis de la Terre et le Mouvement pour une Alternative Non-violente... tout ça aide!), mais très vite je me retrouve face aux mêmes incohérences qu'à la GOP: une capacité illimitée à manier la controverse (qui m'a probablement rendu intelligent), mais un immobilisme lui aussi illimité. Rapidement, ça ne me suffit plus.

J'ai la chance de faire des études qui me permettent de prendre de larges fenêtres de temps. Je pars sur le plateau, donner un coup de main à l'organisation du 'grand rassemblement' en soutien aux 103 paysans du Larzac, pour 15 jours. J'y resterai un an.

Ramirez

On prépare la logistique du rassemblement. Une bonne bande de copains copines, d'un peu partout. On se partage la 'maison des comités' à Saint Martin du Larzac. Il faut tout faire: organiser les différents lieux de camping (on a tous vu Woodstock, et on se retrouve un peu avec les mêmes contraintes, et la même (in)compétence... On se marre bien; Il y a François (Ramirez) de Nancy, qui peint les panneaux indicateurs avec une double contrainte: que les militants se retrouvent et que les militaires fourvoyés en terrain rebelle s'y paument. Finalement tout le monde s'y paumait. Mais ils étaient superbes tes panneaux, Ramirez!

D'autres sérigraphiaient des affiches et des t-shirts, dans l'ancienne église de Saint Martin. Je me retrouve à organiser les lieux d'accueil (campings, chiottes, eau...). De la logistique de crise, déjà... Heureusement, je vais apprendre, plus tard!

Une énorme ambiance de fête... Higelin, Yvon Etienne, un truc qui te remplit. Une communion laïque paillarde et militante.

Jena-Marie Muller, Lanza del Vasto et Jacques de Bollardière

Jean-Marie Müller (Mouvement pour une Alternative Non Violente), Lanza del Vasto (communauté de l'Arche) et Jacques de Bollardière (ancien général français, militant de la non violence) sur le plateau, lors du rassemblement de l'été 74.

Après la fête, construction d'une bergerie au Pinel, des discours (ah, les prises de parole de Christian, néo intégré, berger-véto, d'un déjà José mais pas encore 'Jozébové', d'une Alice, d'un Pierre, un peu bousculé par tout ce militantisme), des nuits entières à discuter. 

Cardabelle

On découvre Paulette, militante de la première heure. Elle a 80 ans, elle vient de Pau. Anarcho-syndicalo-écolo-spontanéiste, elle nous gave de pâté végétal (la maman du groupe... on a probablement besoin de reconstruire un schéma rassurant...). Elle a déjà ses lettres de noblesse: elle est allée pourrir une séance de dédicaces de Bigeard dans une librairie de Pau quelques semaines auparavant. A la clé, garde à vue... et probablement conversion de certains de ses geôliers! T'es où maintenant, Paulette? Le monde devient un peu con, ça serait bien qu'on puisse en parler.

Toute cette énergie est aussi utilisée à 'coordonner les luttes'. Il y a à Millau Manucentre, une usine qui fabrique essentiellement des uniformes pour l'armée. Les ouvrières de cette usine sont en grève (conditions de travail indignes, promotions canapé,...). La symbolique est trop belle. Nous descendons à Millau le soir à tour de rôle, par petits groupes, pour les aider à occuper l'usine durant les dures heures de nuit... Nous les rendrons douces...

Et puis il y a Marcel et Monique Robelin, à Pierrefiche. Il peint et sculpte, et leur maison de Pierrefiche est couverte de ses oeuvres. La maison est toujours ouverte. J'y rencontre Geneviève, qui me fera découvrir plus tard les charmes du Vallon des Auffes à Marseille. On passe des nuits entières à écouter le concert à Cologne de Keith Jarrett.
On prépare ensemble la fête du village. J'en garde le souvenir de "three days of love, peace and merguez". Les bénéfices seront intégralement reversés aux filles de Manucentre.

Les meilleures choses ont une fin... Je finis par remonter à Paris (après un crochet conséquent par Marseille... mais c'est une autre histoire), passer mes examens.
Pierrefiche, Marcel Robelin

Comme j'avais précédemment échoué à me faire réformer, le devoir est censé m'appeler (remember: Giscard est encore à la barre, et la conscription est la règle). J'avais lors des '3Jours' passés au fort de Vincennes, très mollement joué la réforme. Je voulais militer, quoi, merde!)

L'armée se souvient de moi. Je suis appelé dans le service de santé, à Nancy. 

On est en automne 1979, il fait froid, sombre. J'ai pris quelques mois plus tôt un poste au SAMU 94, et un jeune régulateur me fait veiller les (rares) nuits de garde calmes, avec des histoires de bout du monde. 

Il y est question de souffrance, de solidarité, de mousson, de mort, de vie, d'action, de bout du monde, d'avions, d'une bande de potes. Surtout d'une bande de potes.

Il est sympa ce mec. J'ai plus envie de dormir. 

C'est Xavier Emmanuelli; C'est MSF.

Tope là, cochon qui s'en dédit. Son truc m'intéresse, d'autant qu'il va me falloir trouver une solution viable pour cette histoire d'armée: je ne veux pas jouer la certe du service civil (pas piquer la place d'un chômeur, quand même!, et surtout pas rentrer dans l'alternative légale à ce jeu de cons). Pareil pour la coopération internationale. A l'époque, les places sont chères, et le dossier, véritable parcours du combattant (!), doit être préparé très en avance. J'ai pas eu le temps, j'étais avec les moutons!

Je commence à fréquenter le bureau de MSF rue Daviel à l'époque. Il vient d'y avoir une grande série d'articles dans 'le matin de Paris' sur MSF, 'le SAMU mondial' (l'appellation sera reprise bien plus tard par le ministre de la Santé). Heureusement, parce que les locaux (3 pièces dans une arrière cour), à l'époque, ça ne donne pas la mesure réelle...

Mon premier 'vrai' contact sera l'assemblée générale de 79... celle dite 'de la scission'. Un Kouchner surchauffé et déjà manipulateur et un Claude Malhuret très en forme dialectique s'affrontent. Je me demande dans quelle galère je suis en train de me mettre.

La rupture est consommée à la fin de cette AG, Kouchner part (poussé dehors, mais il aura tendance à réécrire l'histoire constamment), et monte MDM. Moi, je connais que Xavier! Je reste. Jamais je ne l'ai regretté.

C'est MSF, et c'est fin 79. Je suis censé rejoindre une mission chirurgicale au Tchad. Je pars donc sur la frontière cambodgienne.

A quelques jours de mon incorporation officielle 'sous les drapeaux' (on avait le sens de la formule à l'époque!), je me retrouve dans un 747 d'Air france, pour Bangkok.

C'est une autre histoire...